GIERSA, Groupe interuniversitaire d’études et de recherches sur les sociétés africaines

Groupe interuniversitaire d’études et de recherches sur les sociétés africaines

PARTENAIRES

Université Laval Université de Montréal Université du Québec à Montréal

Le GIERSA bénéficie du programme « Soutien aux équipes de recherche » du
Fonds de recherche Société et culture, gourvernement du Québec

École d'été 2011

Dates: 
2 Mai 2011 - 27 Mai 2011

Université de Montréal
Responsable : Bob White
Plan de cours

Lino PUNGI
Professeur à l’Université de Kinshasa
et à l’Université catholique du Congo
umberlino@yahoo.fr
 

« La science est comme le tronc du baobab, personne ne peut l’enlacer seul. »

L’expérience que je viens de passer à l’Université de Montréal, dans le cadre du séminaire interdisciplinaire et interuniversitaire sur les Dynamiques des sociétés africaines, a été constructive. Et à plus d’un titre.

D’abord, sur le plan humain ou plutôt interpersonnel. Les rencontres faites, de manière programmée ou non, m’ont permis de mettre des visages sur des noms entendus ou lus. C’est le cas de Michel Pichette ou Jacques Piette, lui, dont le renom le précède déjà en Afrique (en RDC), dans son domaine de prédilection –le mien aussi – l’éducation aux médias. Il n’y a aucune raison de minimiser les rencontres furtives qui, comme on le sait en ethnologie, ont leur place dans le processus d’observation dans la mesure où elles sont susceptibles de déclencher des étincelles sur la base desquelles peut s’amorcer une recherche approfondie. Il y en a eu non seulement à Montréal mais aussi à Laval. Non seulement avec des collègues mais aussi avec les étudiants. Tout cela pour dire que le passage d’une comète a beau être rapide, fulgurant mais les souvenirs que cela laisse ne s’évanouissent pas forcément  en un clin d’œil.

Expérience constructive sur le plan scientifique. Il va sans dire que le fait de participer aux sessions d’autres collègues et même de les co-animer était une opportunité pour moi de réussir une double approche-découverte des collègues : leur contexte épistémologique et leur « didactie » (pédagogie). Ici, je pense notamment à la forme des questions que les étudiants devaient se poser au terme de leur exposé, basé sur leur portefeuille de lecture. Ce qui est un critère d’évaluation assez rare dans mon pays d’origine.

Du développement de la thématique du colloque, j’ai pu retenir qu’en dépit de sa prévalence comme démarche privilégiée en sciences humaines, l’approche ethnographique (qualitative) n’a pas été présentée comme un absolu. Au contraire, elle s’est bien articulée avec son pendant en sciences sociales, à savoir l’approche sociologique (quantitative). S’agissant de l’étude de la dynamique des sociétés africaines, j’estime que cette double approche était nécessaire pour bien cerner les emboîtements et les décalages qu’il y a, en Afrique comme partout ailleurs, entre hier et aujourd’hui, entre la tradition et la (post-) modernité ; entre la volonté du changement et les indicateurs objectifs de ses pesanteurs (entre autres les indicateurs de performance économique).

La leçon majeure que je retiens de ces échanges – bien de fois houleux – c’est que la dynamique des sociétés africaines n’est ni exogène (colonisation et ses formes ultérieures -avatar ou non- comme la globalisation) ni endogène (révolutions, authenticité, etc.) mais elle procède d’une dialectique. Un processus qui n’est certes pas facile à promouvoir en Afrique actuellement, compte tenu des plaies non encore cicatrisées de l’esclavage et surtout de la colonisation, mais aussi des événements récents comme la guerre des minerais à l’Est de la RDC, avec son cortège des dégâts collatéraux, essentiellement humains voire anthropologiques.

La question de complexe m’est apparue très clairement comme étant l’un des obstacles essentiels à l’interculturel. Complexe d’infériorité de bon nombre d’Africains ; Complexe opposé chez les Occidentaux. Comme l’ont si bien montré les discussions durant les séances, il existe une tension tantôt latente tantôt explicite ment exprimée, habilement ou poliment mais aussi violemment, de manière sarcastique. Une chose est sure, l’interculturel n’est pas forcément fusion des cultures mais je pense (un peu avec force et Bob White ne serait pas opposé) que toute identité culturelle actuelle, n’est jamais pure. Il y a un peu d’une autre culture en soi ou en devenir. Si minime soit la part de l’autre culture dans la sienne, elle ne peut demeurer ainsi ad aeternam. Le christianisme est un exemple frappant : du petit groupe des disciples avec Jésus, il a conquis le grand empire romain et au-delà, pratiquement plus par la Parole et l’être que par l’épée.

Ma recherche-action que je mène depuis bientôt dix ans et que j’ai eu le bonheur de présenter s’inscrit fondamentalement dans la perspective de réduire ces complexes respectifs, mais en partant des médias et, de plus en plus, des technologies numériques. La question, au départ, est comment promouvoir chez les gens la capacité d’éviter le piège d’un mimétisme aliénant que les médias semblent tendre à travers un certain nombre de produits sous-tendant des idéologies hégémoniques d’ordre politique ou économique ou encore philosophico-religieuse ? Comment renforcer les capacités de réaliser des produits médiatiques adaptés aux enjeux et défis réels du pays ?

Ces questionnements introduisent dans la sphère de la fonction socio-éducative des médias, l’une des trois reconnues traditionnellement aux médias (les deux autres étant former et divertir). Les médias ne sont pas les seuls dans ce domaine du socio-éducatif. On y trouve non seulement les instances éducatives classiques comme l’école et l’université mais également les arts voire les institutions sociopolitiques. La préoccupation, dans ma recherche-action, s’inscrit dans une perspective d’articulation optimale de ces différentes instances concernées par le devenir de l’homme congolais et de sa société, mais dans les sillages des médias et, de plus en plus, des technologies numériques. L’enjeu ici est que ces outils charrient et distillent des représentations mentales mais aussi des savoirs et des comportements ambivalents, dont les sémiotiques ne sont pas si évidentes qu’elles ne paraissent. Les réactions des participants à la présentation de mon expérience m’ont interpellé à prendre en compte la donne économique outre le processus de mondialisation ou de globalisation (j’aurais dit glo-localisation) en cours.

Le dernier motif de satisfaction pour mon séjour est la perspective de collaboration envisagée avec des collègues et consistant à mettre en œuvre un projet de recherche conjointe centrée sur l’implication des artistes congolais dans la promotion d’un processus socio-éducatif devant contribuer à relever les multiples défis de la RDC. Il s’agit d’une recherche-action inter et multidisciplinaire même si les sciences de l’information et de la communication ainsi que l’anthropologie en constituent le cadre théorique basique.

Au total, bien de leçons ont été glanées au fil des rencontres aussi bien académiques que interpersonnelles, allant jusqu’à découvrir des canadiens à compter dans le rang d’« ancêtres scientifiques » congolais, pour avoir longtemps vécu en RDC. Qui, par exemple ?  Gilles Bibeau.  Tous mes remerciements au GIERSA et tout particulièrement à Bob White.