Un peu comme le philosophe Theodor Adorno se demandait comment écrire de la poésie après Auschwitz, l'ampleur de l'Itsembabwoko, le génocide rwandais qui a fait environ un million de victimes en 1994, amène à une réflexion fort semblable: la littérature est-elle pensable après tant de sang? Et dans la mesure où l'écriture apparaît comme plausible, alors comment réussir à dire l'indicible? L'analyse de quatre récits de fiction portant sur la tragédie rwandaise (Gil Courtemanche, Un dimanche à la piscine à Kigali, 2000; Koulsy Lamko, La phalène des collines, 2000; Tierno Monénembo, L'aîné des orphelins, 2000 et Véronique Tadjo, À l'ombre d'Imana, 2001) nous montre que la fiction se présente d'abord comme un témoignage du dérèglement axiologique qui· résulte de toute cette violence génocidaire. Elle reproduit non seulement certains schèmes de la pensée hégémonique d'un État devenu meurtrier mais plus largement, elle met en scène des motifs archétypaux du génocide, comme des échos au tremblement des valeurs sous-tendant l'expérience limite du génocide. La littérature se défend ensuite dans l'ensemble des discours par sa capacité à utiliser les stratégies de communications qui lui sont propres afin de dépasser l 'horreur des événements. Elle permet d'accéder à un questionnement beaucoup plus profond sur l'homme, sa nattire, son ignominie, son courage, sa capacité (ou son incapacité) à survivre, etc. Par ailleurs, aucun autre discours hormis la littérature ne parvient à atteindre cette dimension du drame sans tomber dans le pathétique.