GIERSA, Groupe interuniversitaire d’études et de recherches sur les sociétés africaines

Groupe interuniversitaire d’études et de recherches sur les sociétés africaines

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Le Rwanda après le génocide : gacaca, ingando et biopouvoir

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Ce mémoire examine deux institutions rwandaises de «justice transitionnelle» mises sur pied après le génocide de 1994, soit les juridictions gacaca et les camps de solidarité (ingando). Nous tentons de démontrer, dans un premier temps, que ces institutions gacaca et ingando s'inspirent essentiellement de pratiques étatiques antérieures qui permirent le génocide, et, dans un deuxième temps, que ces institutions constituent des pratiques de « biopouvoir » au sens foucaldien. La partie I du mémoire, consacrée à la présentation du cadre d'analyse, résume certains principes de méthode foucaldiens - notamment l'approche généalogique-, et la notion de biopouvoir et ses pôles (« anatomo-politique » du corps humain et « biopolitique » du corps-espèce). Ensuite, à travers un exposé historique couvrant les périodes précoloniale, coloniale (1887-1961) et postcoloniale (1961 et s.), nous divisons notre analyse du phénomène gacaca / ingando en deux parties. Sous la partie II, nous comparons la structure et l'administration de l'appareil gacaca / ingando à la structure et à l'administration de l'appareil étatique utilisées lors du génocide, soit une structure hiérarchique pyramidale, autoritaire, et omniprésente sur le territoire. Sous la partie III, la comparaison se poursuit entre certaines autres pratiques - p. ex. pratiques éducatives, bureaucratiques, législatives, religieuses, et médiatiques - qui rendirent possible le génocide, et certaines pratiques gacaca/ingando, notamment : la compétence d'attribution gacaca ; la procédure d'aveu gacaca ; les enseignements historiques ingando ; et les initiatives promotionnelles (médias et discours officiels gouvernementaux) liées aux gacaca et aux ingando.

Suivant le discours officiel du gouvernement rwandais - dirigé par le Front patriotique rwandais (FPR) depuis juillet 1994-., les gacaca et les ingando sont destinés, dans différentes mesures, à révéler la vérité, à punir les responsables, à réconcilier les Rwandais, et à assurer, ultimement, la transition vers un Rwanda démocratique et prospère. Cependant, après avoir constaté certaines contradictions entre ces objectifs officiels et certaines pratiques gacaca / ingando, au terme de notre analyse de l'ensemble de ces pratiques - et à titre d'alternative au discours gouvernemental rwandais officiel -, nous soutenons que l'appareil gacaca / ingando agit à titre de dispositif anatomo-politique et biopolitique et vise à imprégner le corps social rwandais de cinq normes (ou « vérités ») principales, soit : l'invalidité des divisions identitaires entre Hutus et Tutsis; le bien-fondé de l'identité nationale rwandaise; la vilenie des administrations passées hurues et coloniales, seules responsables du « mal rwandais »; le caractère indésirable d'une présence dominante hutue au gouvernement et, plus généralement, au pouvoir; et la nature légitime et bienveillante du gouvernement rwandais en place depuis la fin du génocide. Selon nous, ces normes s'harmonisent avec l'objectif suivant : assurer la pérennité du FPR (et des forces incarnées par cette formation) à la tête du Rwanda par l'emploi de mesures relativement douces et anonymes, mais extrêmement étendues, économiques et efficaces, qualités associées aux mécanismes de biopouvoir décrits par l'historien et philosophe Michel Foucault.